Pamphlet des PamphletsLaissez dire, laissez vous blâmer, condamner, emprisonner; 1aissez-vous pendre, mais publiez votre pensée. Ce n'est pas un droit, c'est un devoir, étroite obligation de quiconque a une pensée, de la produire et mettre au jour pour le bien commun. La vérité est toute à tous. Ce que vous connaissez utile, bon à savoir pour un chacun, vous ne le pouvez taire en conscience. Jenner, qui trouva la vaccine, eût été un franc scélérat d'en garder une heure le secret; et comme il n'y a point d'homme qui'ne croie ses idées utiles, il n'y a en point qui ne soit tenu de les communiquer et répandre par tous moyens à lui possibles. Parler est bien, écrire est mieux; imprimer est excellente chose. Une pensée déduite en termes courts et clairs, avec preuve, documents, exemples, quand on l'imprime, c'est un pamphlet, et la meilleure action, courageuse souvent, qu'homme puisse faire au monde. Car si votre pensée est bonne, on en profite; mauvaise, on la corrige et l'on profite encore. Mais l'abus... sottise que ce mot; ceux qui l'ont inventé, ce sont eux vraiment qui abusent de la presse, en imprimant ce qu'ils veulent, trompant, calomniant et empêchant de répondre. Quand ils crient contre les pamphlets, journaux, brochures, ils ont leurs raisons admirables. J'ai les miennes, et voudrais qu'on en fit davantage: que chacun publiât tout ce qu'il pense et sait. Les jésuites aussi criaient contre Pascal, et l'eussent appelé pamphletaire mais le mot n'existait pas encore; ils l'appelaient tison d'enfer, la même chose en style cagot. Cela signifie toujours un homme qui dit vrai et se fait écouter. Il répondirent à ses pamphlets par d'abord d'autres, sans succès, puis par des lettres de cachet, qui leur réussirent bien mieux. Aussi était-ce la réponse que faisaient d'ordinaire aux pamphlets les gens puissants et les jésuites. A les entendre cependant, c'était peu de chose; ils méprisaient les petites lettres, misérables bouffoneries, capables tout an plus d'amuser un moment par la médisance, le scandale, écrits de nulle valeur, sans fond, ni consistance, ni substance, comme on dit maintenant, lus le matin, oubliés le soir; en somme, indignes de lui, d'un tel homme, d'un savant! L'auteur se déshonorait en employant ainsi son temps et ses talents, écrivant des feuilles, non des livres, et tournant tout en raillerie au lieu de raisonner gravement: c'était le reproche qu'ils lui faisaient, vieille et coutumière querelle de qui n'a pas pour soi le rieurs. Qu'est-il arrivé? La raillerie, la fine moquerie de Pascal a fait ce que n'avaient pu les arrêts, les édits, a chassé de partout les jésuites. Ces feuilles si légères ont accablé le grand corps. Un pamphletaire, en se jouant, met en bas ce colosse craint des rois et des peuples. La Société tombée ne se relèvera pas, quelque appui qu'on lui prête; et Pascal reste grand dans la mémoire des hommes, non par ses ouvages savants, sa roulette, ses expériences, mais par ses pamphlets, ses petites lettres. Ce ne sont pas le Tusculanes qui ont fait le nom de Cicéron, mais ses harangues, vrais pamphlets. Elles parurent en feuilles volantes, non roulées autour d'une baguette, à la manière d'alors, la plupart même et les plus belles n'ayant pas été prononcées. Son Caton qu'était-ce qu'un pamphlet contre César, qui répondit très bien, ainsi qu'il savait faire et en homme d'esprit, digne d'être écouté, même après Cicéron? Un autre, depuis, féroce, et n'ayant de César ni la plume ni l'épée, maltraité dans quelque autre feuille, pour réponse fit tuer le pamphletaire romain. Proscription, persécution, récompense ordinaire de ceux qui seuls se hasardent à dire ce que chacun pense. De même avant lui, avait péri le grand pamphletaire de la Grèce, Démosthène, dont le Philippiques sont demeurées modèle du genre. Mal entendues et de peu de gens dans une assemblée, s'il les eût prononcées seulement, elles eussent produit peu d'effet; mais écrites, on les lisait; et ces pamphlets, de l'aveu même du Macédonien, lui donnaient plus d'affaires que les armes d'Athènes, qui, enfin succombant, perdit Démosthène et la liberté. Heureuse de nos jours l'Amérique, et Franklin qui vit son pays libre, ayant plus que nul autre aidé à l'affranchir par son fameux Bon Sens, brochure de deux feuilles. Jamais livre ni gros volume ne fit tant pour le genre humain. Car, aux premiers commencements de l'insurrection amériquaine, tous ces Etats, villes, bourgades, étaient partagés des sentiments: les uns tenaient pour l'Angleterre, fidèles, non sans cause, au pouvoir lègitime; plusieurs parlaient d'accomodement, prêts à se contenter d'une sage liberté, d'une charte octroyée, dût-elle être bientôt modifiée, suspendue; peu osaient espérer un résultat heureux de volontés si discordantes. On vit en cet état de choses ce que peut la parole écrite dans un pays oú tout le monde lit, puissance nouvelle et bien autre que celle de la tribune. Quelques mots par hasard d'une harangue sont recueillis de quelques-uns; mais la presse parle à tout un peuple, à toute les peuples à la fois quand ils lisent comme en Amérique; et de l'imprimé rien ne se perd. Franklin écrivit; son Bon Sens, réunissant tous les esprits au parti de l'indépendence, décida cette grande guerre qui, là terminée, continue dans le reste du monde. Aucune vérité ne s'établit sans martyrs, excepté celles qu'enseigne Euclide. On ne persuade qu'en souffrant pour ses opinions; et saint Paul disait: Croyez-moi, car je suis souvent en prison. S'il eût vécu à l'aise, et se fût enrichi du dogme qu'il prêchait, jamais il n'eût fondé la réligion du Christ. Jamais F... ne fera, de ses homélies, que des emplois et un carrosse. Toi donc, vigneron, Paul-Louis, qui seul en ton pays consens à être homme du peuple, ose encore être pamphlétaire et le déclarer hautement. Ecris, fais pamphlet sur pamphlet, tant que la matière ne te manquera. Monte sur les toits, prêche l'Evangile aux nations, et tu en seras écouté, si l'on te voit persécuté; car il faut cette aide, et tu ne ferais rien sans M.de Broë. C'est à toi de parler et à lui de montrer par son réquisitoire, la vérité de tes paroles. Vous entendant ainsi, et sécondant l'un l'autre, comme Socrate et Anytus, vous pouvez convertir le monde. PAUL-LOUIS COURIER
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