Les faiseurs d'argent

    Un des mensonges les plus corrupteurs, entre ceux qui font lupus sun l'âme moderne, consiste à donner pour de grands esprits ces faiseurs d'argent qui pullulent partout, qui fondent d'ènormes fortunes dans tous les désordres publics, qui finissent en prison quand ils n'ont pas eu assez de bonheur, et au prytanée de l'admiration gènèrale, quand ils réussissent. Il n'y a que le succès entre Rochette et Rockfeller. Les milliardaires n'ont pas entassé les milliards sans les prendre où ils ètaient: dans la poche de ceux qui les ont perdus. Ils ont ruiné une fou le de gens et d'entreprises, pour assurer le triomphe de la leur. Soit, et peu m'importe. Mais j'ai interrogé longuement leurs visages, et j'ai lu les livres qu'ils signent: ce n'est que ruse, impudence vulgaire et risible imposture. Crocodiles en tout, s'ils ont un pleur moral à l'æil, ils sont leurs premières duples. En quoi ils inspirent le degoût, Il faut une merveilleuse bassesse pour qu'on les appelle grands capitaines d'industrie et qu'on les admire. Leur habileté tient par toutes sortes de moyens et de pratiques à celle des voleurs. Il y a de l'ignoble dans tout ce qu'ils font, dans tout ce qu' ils sont, dans tout ce qu'ils disent comme dans leur figure. Ces museaux vous ont un air respectable et cynique, où se composent les forces inégales du bagnard, du clergyman et du préteur romain. Leur charité finale est celle de Tibère à Caprée: laissez venir à moi les petits enfants. Non, les grands coups de bourse ne sont pas des Austerlitz ni des Houvines, des Marathon, ni des Valmy. La plus réelle de leurs habilités est encore leur bonheur. Comme ils l'avouent eux-mêmes, une fois gagnè le premier million, les autres suivent. Tous, sans doute, ne vont pas au milliard, mois il est clair que les cinq-cent millons mènent aux mille, et le demi-millard conduit à l'entier tout droit, et qu'il y va quasi tout seul. A moins d'une imprudence par trop sotte, ces sortes de biens s'accroissent d'eux-mêmes, et l'argent roule comme l'avalanche. La marche automatique des ènormes fortunes montre ce qu'il y a de faux dans le règne de l'argent; on y sent quelque chose d'absurde et de précaire même. Ce pouvoir est fondé sur la complaisance et la niaiserie des Etats. Comparer un de ces potentes à Cèsar, à Napolèon, ou gran Frèdèric ou seulement à un prince solide et hardi, qui pense et fait la guerre, est une dèrision. Il fallait, pour l'oser, toute la bassesse de la religion, qui est devenue la foi des multitudes: la religion de la matière, cette mécanique du luxe et du plaisir qui fait de tous le vivants autant de mortels a charnes à saisir une ombre, les automates sans pensèe et sans vie intérieure qui recrutent le parti socialiste de tous le pays.





L'educazione alla pace

    Funeste citadelle de la vanité nationale, avec son donjon de race, ses tours de préjugés, ses cachots de mensonges et ses fossès de mèpris réciproques. L'homme ne peut pas naître à l'intérieur des remparts: L'Européen n'arrive à la vie, que s'il y fait hardiment brèche. La guerre ne mènacera plus d'éclater en Occident et de ruiner l'Europe, le jour où la France et l'Allemagne auront cessé de mal penser l'une de l'autre. C'est une affaire d'éducation. L'élite a charge de la foule. Ou faut-il conclure que l'élite n'a aucune part à la politique? On apprend l'ortographe aux enfants: on pourrait bien apprendre aux peuples la pensée droite. Quand on fait parler la poudre, on n'a plus rien à dire; it n'est pire moyen de s'entendre que de faire gueuler le canon.

    Ni le dieu brutal de la guerre, ni le lâche dieu du commerce et de la finance ne peuvent faire l'ordre dans le monde et lui donner la paix. Que le règne de l'esprit arrive. Rien ne se fait que par la force, et le droit même. Mois la force des forces est l'esprit. Il y aura toujours assez de douleur pour exercer l'homme et l'empêcher de croupir. Il n'a pas besoin d'être plus dur que son destin. Qu'on s'en fie à son inquiètude, et à l'intelligence pour ne lui point laisser de repos et le polir dans l'insomnie. It est aussi une vie héroique du coeur, et une guerre intèrieure où il faut vaincre: ces combats n'ont pas l'horreur de la fange et du sang; ils n'en sont pas toujours moins cruels; ils n'impliquent pas moins de vaillance et de sacrifice.

    Ils n'out pas le hideux aveuglement de la simple violence, où la plus noble volonté est serve, sans action et sans choix. La conscience est le plus beau champs de bataille, et le plus labouré. Bien des fois, il est sanglant, et la lutte meutrière, en ce que le vainqueur n'y laisse pas moins de soi que la vaincu, et que la victoire n'y est pas moins désolée que la défaite. Tant que l'esprit veille, l'homme ne risque pas de dormir. La paix est un problème que l'esprit seul peut rèsoudre. Adveniant regnum tuum.

    (Europe)

ANDRÉ SUARÈS